citationTon sac tombe finalement de ton épaule endolorie, ta main opposée relâche la valise dans un coin de la pièce et tu observes les lieux. L'appartement n'est pas grand. C'est le mieux que vous ayez trouvé en si peu de temps. Mais ce qui te perturbe le plus, c'est le silence.
Tu n'as jamais été seul.
Jamais.
Au commencement, vous avez toujours été deux.
Angel et Daemon.
Daemon et Angel.
L'un sans l'autre, ça n'était pas envisageable.
Pour toi, ça ne l'a jamais été.
Alors entendre le seul grésillement du petit frigidaire résonner dans la pièce, c'est trop pour toi. Tu abandonnes tes affaires dans l'entrée et tu sors de là, passant devant ton père qui t'appelles. Mais tu n'entends pas. Tu sors et tu vas courir. Courir comme si ta vie en dépendait. Parce que ça, tu pourrais toujours le contrôler, tu pourrais toujours courir, peu importe quand ou comment. Ca ne changerait jamais.
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25 décembre 2002, Camberra.
Les cris de douleurs et les crispations n'entache en rien la motivation des jeunes parents à mettre au monde les deux bambins qui rythment déjà leurs vie depuis huit mois et demi. Arrivés un peu en avance, les petits anges auraient dû pointer le bout de leur nez à l'aube d'une nouvelle année. Mais, impatients de découvrir ce nouveau monde, ils n'avaient pas voulu attendre la fin de l'été et avaient offert à leurs parents ce cadeau de Noël prématuré.
Pourtant, rien n'aurait pu rendre plus heureux les Leonhart que la naissance de leurs enfants. Surfeur passionné, leur père s'était révélé être un père idéal, avide de montrer son amour à ses enfants. C'est lui qui les amena à chacun se passionner pour un sport. Quant à leur mère, elle était chirurgienne en cardiologie, elle était celle qui permettait à leur famille de mener un train de vie confortable tout en trouvant le moyen d'être présente pour ses enfants et son époux.
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« Daemon Leonhart va rejoindre notre équipe aujourd'hui. Il est Australien aussi je compte sur vous pour l'intégrer parfaitement. »
Le Coach Durham était un vieil homme chauve et rabougri, tu te demandais encore comment ça se faisait qu'il n'était pas mort. Visiblement, il n'était pas si vieux que ça. Debout devant le reste de l'équipe, tu te sentais parfaitement ridicule. Tu ne savais pas ce qu'il t'avait pris d'accepter un marché pareil. En plus de te séparer d'Angel et de ta mère, tu te retrouvais seul devant une brochette de gamin tous un peu plus vieux que toi, obligés de retenir les rires qui menaçaient de passer leurs lèvres.
Inutile de dire que, du haut de tes dix ans, tu ne t'es pas parfaitement intégré.
Ce qui en soi, n'était pas un drame puisque tu pratiquais un sport solitaire et que tu refusais de faire de la course de relai. Tu ne voulais pouvoir t'en prendre qu'à toi-même en cas d'échec. Tu ne voulais pas risquer de remettre la faute sur quelqu'un d'autre. Jamais. Parce que tu étais le grand frère, celui qui protégeais. Celui qui encaissait.
Pas celui qui se lamentait.
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Il est était ton double. Ton énergie. Ton ombre. Tu étais le plus fort des deux, celui qui donnait des coups de poings sur le nez de ceux qui vous cherchaient des noises. Celui qui protégeais. Parce qu'il était plus que ton frère, il était ton ange. Il était une partie de toi. Votre relation à toujours été relativement fusionnelle. C'était vous deux contre le monde entier. Et personne ne pouvait vous confondre. Oh, vous étiez de vrais jumeaux, des monozigotes comme on appelle ça dans le langage spécialisé. Mais personne n'aurait pu vous confondre.
C'était Daemon qui parlait fort.
C'était Daemon qui donnait les coups.
C'était Daemon qui criait.
C'était Daemon qui était celui qui se faisait remarquer.
Bien vite, tu as compris qu'Angel attirait l'attention par sa gentillesse et sa douceur. Et tu t'es forgé toi-même : s'il fallait que tu sois le diable pour qu'il puisse rester aussi doux jusqu'à la fin de ses jours, alors tu le serais. Tu as enchaîné les bêtises, tu étais du genre curieux. Et parfois tu n'étais pas très content d'être puni. Mais c'était la vie. Et toi comme Angel, vous avez grandis dans cet environnement aimant.
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Gravé dans ton esprit, tu ne pourras jamais oublié ce moment. Vous veniez de faire la course, ton père et toi, de l'école à l'appartement que vous aviez en location à Los Angeles. Vous étiez monter et, alors que vous vous rafraîchissez dans la cuisine en plaisantant, en vous arrosant l'un et l'autre, son téléphone sonna.
Tu te souviendra toute ta vie du changement d'expression qui opéra sur les traits de ton père. Son air rieur et amusé laissant place à un regard grave et une mâchoire crispée. Tu te souviens de chaque mot qui a quitté ses lèvres. "Comment est-ce arrivé ?" ; "Est-ce qu'elle va bien ?" ; "Et Angel ?". Et puis les choses deviennent floue.
Tu annules ta prochaine compétition et vous vous envolez par le premier vol jusqu'à Camberra. Vous arrivez trop tard, ta mère s'est déjà éteinte. Tu pleures ce soir là, tu dors avec ton frère pour la première fois depuis un an, et vous pleurez à l'unissons la perte de cette qui vous aimait tant. Le reste n'a que peu d'importance. Les obsèques sont longs, douloureux, tu n'aimes pas être là mais tu es sage. Pour elle.
Finalement, quand vous rejoignez cette maison où vous avez grandis, une lettre attend sagement Angel. Tjukurpa. L'école de sorcellerie. C'est là que votre père vous avoue tout. Tu lui en veux, un peu, d'avoir garder ce secret si longtemps. Mais, c'est elle qui voulait vous le dire le jour où vous recevriez vos lettres. Mais toi, toi tu n'as rien.
Parce que, le jour de votre départ, une lettre est glissée dans la boîte à lettre, une lettre que tu n'ouvriras qu'en rentrant.
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La vie était douce, rythmée par les soirées à la plage où votre père vous apprenais à surfer, les journées à l'école, les après-midi en club. Tu courrais. C'était la meilleure chose au monde après les crêpes de ta mère et les câlins de ton frère. Tu courrais. A en perdre haleine. Et quand ton père t'avais, très tôt, inscrit dans un club d'athlétisme, il n'aurait jamais imaginé que tu serais repéré au collège. Un coach américain était là en vacances. Il avait vu en toi un potentiel que ni ton père ni ta mère n'avait imaginé. Et il avait proposé de te prendre à l'essaie aux États-Unis. Il avait une sorte de couveuse dédiée aux jeunes sportifs. Ils avaient une bonne équipe d'athlétisme et tu serais un atout pour eux.
Le vent file dans tes cheveux, ton regard est figé au loin, et tu coures. Tu coures comme si c'était la seule chose que tu savais faire dans ce bas monde. Et c'est un peu vrai dans le fond. Tu es terrible en langue, mauvais en histoire, la géographie t'indiffère. Mais tu aimes bien les maths, c'est grâce à eux que tu t'en sors un peu d'ailleurs. Mais tu t'en sors, toujours suffisamment pour que tes profs t'apprécient, pour que tu finisses loin des derniers.
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Ilvermorny.
Tu n'as jamais vécu avec la magie. Tu n'as jamais pensé que ça pourrait être une chose qui ferait partie de ta vie à un moment donné. Alors, entré dans le bâtiment t'avais secoué. Lorsque les statues s'étaient retournées, tu avais eu le plaisir d'en voir trois pour toi : Oiseau Tonnerre, Womatou et Serpent Cornu. Tu as choisi les Womatou, attiré par cette rage de vaincre qu'ils mettaient en avant.
Et rejoindre Ilvermorny n'aura pas été une partie de plaisir. Tu n'avais jamais rien connu à la magie et ça malgré le fait que votre mère la pratiquait régulièrement. Mais tu t'en fichais, tu avançais. La séparation avec Angel avait été terrible cette fois, d'autant plus que tu n'avais pas digérer la mort de votre mère. Votre relation pâtissait de tout ça, tu le sentais. Mais tu n'y pouvais rien. Tu écrivais, tu passais parfois les vacances avec eux quand les compétitions te laissaient faire.
Mais tu t'es forgé une nouvelle vie aux États-Unis. Ilvermorny et Tjukurpa avaient des axes d'apprentissages différents qui n'ont fait que vous éloigner ton frère et toi. Alors, tu t'es concentré sur ceux que tu avais autour de toi. Un petit groupe de potes, rien d'extraordinaire, t'étais pas le type le plus populaire, pas le moins non plus. T'avais une réputation, celle d'avoir le sang chaud, de pas te laisser marcher sur les pieds. T'avais écopé de quelques retenues à cause de bagarres que tu avais lancées ou auxquelles tu avais participées. Finalement, t'étais pas mieux que les autres quoi. Mais ce côté dangereux te donnait un bagou auprès des filles et ça te plaisais.
Et puis, il y a eu la rupture avec Angel.
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Ton père, après la mort de ta mère, était retourné vivre dans votre maison en Australie. Votre entrée dans vos écoles de sorcellerie respectives avaient mis un coup à vos carrières. Toi, il n'avait plus besoin d'être à Los Angeles. Alors, autant retourner à la maison. Tu avais vécu ça comme un abandon. Mais dans le fond tu comprenais. Angel était là-bas aussi. Et tu en voulais au système scolaire magique de ne pas t'envoyer dans ton pays natal.
Alors, l'été, après les compétitions, tu rentrais à la maison. Tu passais du temps à te reconstruire avec ta famille. Le décès prématuré de votre mère avait été dur et l'éclatement n'avait jamais aidé à vous réunir. Et puis il y a eut ce jour. Ce jour où tous s'est envenimé entre vous.
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Au final, aujourd'hui, t'es pas malheureux. Tu as tes traumas, tes cicatrices, tes blessures. Tu essaies d'avancer avec le poids de la rupture avec ton frère, avec le poids des attentes de ton père, avec le poids d'un athlétisme qui devient de plus en plus étouffant. Tu aimes courir, tu aimes y prendre plaisir. Et les compétitions en plus des cours, tu as du mal à encaisser. Mais tu essaies, tu te dis qu'une fois que t'auras ton diplôme, tu seras plus serein, tu pourras t'y consacrer pleinement et tu y reprendra goût. Alors tu t'accroches.
Et puis, il y a eut cette blessure. Le quidditch, c'est quelque chose qui te plaît bien. T'as moins de passion que pour la course mais, la sensation de voler est géniale. T'as décroché le poste d'attrapeur pour ta maison et tu t'éclates bien pendant les matches. Et, avouons-le, pour avoir des filles dans le creux de ta main, c'est parfait. Mais attention, tu es gentleman avec ces dames. Jamais plus d'une à la fois, et une rupture propre quand tu n'es plus intéressé si ça arrive. Bien que tu ais été en couple pendant plus d'un an avec la dernière. Elle a fini par te plaquer quand elle s'est rendue compte que tu ne l'aimais pas vraiment. Tu le voulais pourtant, tu y croyais. Mais vous êtes amis maintenant, bons amis. Et ça te va.
Bref, le quidditch c'est sympa, sauf quand on finit par se casser la figure dans le dernier match de l'année, juste avant les vacances. Résultat, immobilisation complète de la jambe pendant un mois. Obligation de rouler en fauteuil jusqu'à fin août et rééducation. Inutile de dire que la saison d'athlétisme est terminée pour toi. Mais au fond, c'est peut-être un soulagement.
Du coup, t'es revenu en Australie pour les vacances, squatter sans vergogne la maison avec vue sur plage et piscine de ton père. Il a déménagé à Mapple Town après l'entrée d'Angel à Tjukurpa. Et tu profites de l'endroit.